Lors de mes séjours en Haute-Marne,
j'ai interrogé Mamie sur son enfance ; vous le savez, elle était née en
1906 et avait donc 8 ans au début de la guerre de 1914. Elle avait deux
frères plus âgés qu’elle et sa mère, notre grand-mère Constance
racontait que Mamie était née si rapidement que le Docteur était arrivé
trop tard et qu’il n’en revenait pas de trouver la patiente riant aux
éclats !
Et pourtant dans mes
souvenirs, grand-mère ne riait pas souvent. Pour vous la situer j’ai
pas mal d’anecdotes. Entre autres, quand mes sœurs et moi nous nous
lavions les cheveux, ou que nous allions à la piscine, elle disait que
nous étions « folles de notre corps » de sorte que nous nous cachions
afin qu’elle ne se mette pas en colère. Cela vous semble inimaginable…A
la réflexion je pense qu’elle était jalouse de notre jeunesse et de ce
qui lui semblait une liberté extraordinaire, elle qui avait connu
l’époque ou les filles avaient le droit de lire uniquement le dimanche
et quelques heures seulement, et où à la pension, elles se lavaient
sous leur chemise de nuit !
Je m’aperçois que si je
veux raconter Mamie je dois continuer à vous parler de sa mère, cette
terrible « Grand’mère Constance » que les plus âgés des petits enfants
de Mamie ont connue. Antoine se souvient surement des coups de canne
qu’elle lui donnait quand il passait devant elle lors des séjours
qu’elle faisait à Montier. Je vous l’ai dit, elle n’aimait pas beaucoup
les jeunes…
En fait la jeune
Constancen'avait, je pense été heureuse que le temps si bref de son
enfance au milieu de ses frères et sœurs et de ses cousins Elle s’est
mariée à 18 ans ! Mais j’y reviendrai.
Née le 17 décembre 1877, elle était l’ainée de 9 enfants. Il y avait ensuite :
- Edmond, mort à 16 ans dans un éboulement alors qu’il était à l’école d’agriculture,
- Auguste, mort en 1914 (la guerre),
- Pauline, mère de Léon Bourgeois,
- Félicie, mère de Cousine Simone (elle est à ce jour la doyenne de la famille),
- Louis, mort en 1916 (la guerre),
- Alice,
- Fernand,
- Henry.
Les garçons n’ont pas eu de descendance. Je reviens donc au mariage de la jeune Constance. C'est elle qui raconte:
« J’étais très amoureuse de
mon voisin qui avait quelques années de plus que moi. Nous nous
retrouvions dans les champs et je m’asseyais sur ses genoux, nous
étions si bien ensemble… Et puis, il est parti faire son service
militaire, sans me parler d’avenir. C’est alors que notre cousine
Bancelin a dit à mon père que mon cousin Henry SAVET souhaitait
m’épouser (il avait 32 ans, était rouquin et terriblement gros) mais il
m’épousait SANS DOT. J’ai accepté, j’étais l’ainée de 9 enfants. »
Et aussi, mais c’est une opinion personnelle, pour montrer à son amoureux qu’elle avait d’autres soupirants que lui.
C’est ici que se place une anecdote que grand-mère Constance m’a plusieurs fois racontée :
Elle attendait son fiancé dans un
train à la gare de Bar le Duc. C’est alors qu’elle l’a vu arriver, gros
bien sûr, le visage cramoisi à cause de la chaleur et portant dans
chaque main : Un Melon ! Elle l’a trouvé tellement ridicule qu’elle
s’est cachée afin de ne pas faire le voyage avec lui ! Etait-ce le
grand amour ?
Les parents de Mamie
étaient donc cousins germains puisque leurs mères, Félicie Jacquemart,
mère d’Henry et Thérèse Jacquemart, mère de Constance étaient sœurs (si
vous m’avez bien suivie, la Belle-mère de Constance était aussi sa
tante et inversement).
A l’époque Grand –père
Henry vivait avec ses parents, il n’avait jamais travaillé, avait un
cheval, bref n’avait pas de soucis financiers. Malheureusement, juste
un an après leur mariage, son père a fait faillite et sa mère a donné
l’argent de sa dot pour régler la dernière paie des ouvriers (cela
semble incroyable de se comporter comme cela de nos jours).
Le train de vie a changé du
jour au lendemain….Ce qui faisait dire au frère de Grand-père Henry,
Maxime, qui était resté benêt à la suite d’une maladie cérébrale : « Si
papa n’avait pas travaillé, on pourrait se promener avec une canne à
pommeau d’or ! ». Le pauvre Maxime est d’ailleurs mort dans la misère
aux Islettes où il vivait seul depuis la mort de ses parents.
Les Islettes étaient une
propriété que Mamie aimait beaucoup. Je devais l’y emmener mais nous
n’avons pas pu y aller à cause de sa santé (c’est un regret que je
traîne car cela lui aurait fait tellement plaisir d’y aller une
dernière fois).
Donc, du jour au lendemain,
la situation financière des parents de Mamie s’est dégradée. Par
relations, Grand-père Henry a trouvé une place de directeur de l’usine
Huguenot (fabrique de tuiles etc.) à Pargny sur saulx et ils y vivaient
tous les cinq : Mamie, ses parents et ses deux frères, Eugène qui avait
8 ans de plus qu’elle et Edmond qui en avait quatre.
Il faut que je vous raconte
deux anecdotes concernant Grand –père Henry. Vous vous rappelez qu’il
était nettement plus âgé que sa femme et que de plus il était corpulent
et chauve. Par contre, grand-mère Constance était mince et avait de
magnifiques cheveux noirs. Ils étaient dans le train (encore) et deux
gendarmes leur ont demandé leur identité. Comme ils ne voulaient pas
admettre que la femme qui l’accompagnait était sa femme et non pas sa
fille, Grand-père Henry s’est écrié : « qu’est-ce qu’il y a de plus
bête qu’un gendarme ? C’est deux ! » Ce qui n’a pas plu du tout, mais
pas du tout, aux gendarmes !
A cette époque, les
baignoires étaient en métal et avaient un tablier qui les faisait
ressembler à d’énormes sabots. On les remplissait avec des brocs d’eau
chaude. Grand-père Henry crapotait tranquillement tout en chantonnant
gaiement, mais quand il voulut sortir, ce fut une autre chanson : il se
fit mal aux reins et il fallut aller chercher deux hommes costaux pour
le sortir de là, en couchant la baignoire.
Je me souviens bien de lui.
C’état un homme doux et sentimental que j’ai vu pleurer en lisant
Colomba (je me souviens même du titre du livre ! c’est fort !)
Quand j’allais en vacances
chez eux, à Etrepy sur Saulx, ma grand-mère Constance avait la fâcheuse
habitude de m’emmener promener alors que le jour finissait : nous
allions chercher du petit bois pour le feu, ou bien des champignons ou
encore de l’herbe pour ses lapins qu’elle ne tuait jamais d’ailleurs !
Nous revenions à la nuit serrée et le pauvre Grand-père attendait
tranquillement les mains croisées sur sa canne et il se faisait encore
houspiller d’un « Henry ! Ta canne ! » Car celle-ci la gênait pour
passer !
Grand-mère était pleine
d’idées que votre Papy aurait qualifiées de « bachiques » Plusieurs
fois, elle m’a emmenée sur une péniche : elle arrêtait un batelier et
lui demandait s’il voulait bien nous conduire à l’écluse suivante. Ou
encore, elle me faisait glaner (mais peut-être ne savez-vous pas ce que
c’est que glaner ?) c’est ramasser les épis de blés laissés par la
faucheuse.
Ensuite, nous emportions notre récolte au moulin, et le meunier nous donnait un petit sac de farine….
Je pense qu’elle a
terriblement souffert d’être née femme à cette époque J’espère
retrouver deux photos d’elle, photos qui m’avaient émue. La première,
elle a 16 ou 17 ans. Son regard si noir est lumineux, son visage doux
et heureux. L’autre photo la montre quelques années plus tard. Son
visage est devenu dur, son regard est éteint et les coins de sa bouche
pendent en une moue de tristesse…
Vous allez dire : mais ce
ne sont pas les souvenirs de Mamie que tu nous racontes là et c’est sûr
toute cette partie de mon récit va paraître longue aux les plus jeunes
d’entre vous qui n’ont pas connu la Terrible grand-mère Constance. Je
m’en excuse auprès d’eux ;